Récits

Le temps des héros (2003)

Que recherche-t-on en montagne ? La liberté, de choisir son cheminement, cela est une essence de l’aventure. Définition de l’aventure = issue incertaine. Cela peut se savourer dans certains cas, et certains récits ci-après sont des exemples à ne pas suivre… Les erreurs commises ou plutôt les décisions non prises à temps sont exposées.

Tsanteleina
Apprentissage...

Avec Bertrand, on part ce matin là pour la face nord de la Tsanteleina. Au rendez-vous ce matin, on a perdu de précieuses dizaines de minutes sur un retard de Bertrand doublé d’un malentendu.

Se disant que c’est Nord, on pense que ça sera bon côté regel, mais en fait c’est Nord-Est, donc à notre arrivée la face a déjà chauffé. Et en ce printemps très sec, la partie inférieure la plus raide est déjà à nu. Là, une décision sage aurait été de se rabattre sur un sommet à vache à côté, mais jusque là, nous sommes montés régulièrement alors pourquoi s’arrêter en si bon chemin??

Donc on s’engage dans la pente de glace, au début inclinée à 20/25°. Bertrand, en tête, s’arrête au bout de 100m de dénivelée pour souffler, il a les pieds sur une petite écaille de glace. Soudain, l’écaille cède, mon pote pivote; nous sommes à corde tendue, et la glace est vive; il m’est impossible de faire quoique ce soit, la secousse va m’arracher c’est sûr et j’imagine déjà nos corps brûlés par 100m de glissade sur cette surface râpeuse... En fait, iln’en ai rien, en pivotant, Bertrand s’est remis sur ses crampons et la chute s’est immédiatement stoppée 2m plus bas. Bertrand est indemne mais choqué, nous sommes dans l’axe d’éventuelles chutes de pierre venant du haut de la face. Je presse l’affaire pour que l’on aille en sécurité sur une banquette de pierres à une vingtaine de mètres à gauche.

Cela fait à peine 5 min que nous sommes sur la banquette et nous assistons sidérés à une chute de pierre conséquente ratissant l’endroit où nous étions voilà 10 minutes…

Maintenant, nous n’avons aucune envie de repasser dans l’axe donc nous continuons donc l’ascension par des alternances de terrasses vers la gauche a priori faciles. En réalité le cheminement est très délicat; nous n’avons qu’une broche pour 2; le piolet de Bertrand est un jouet; le mien un peu mieux mais pas une bête de course non plus… Bertrand subit le contre coup du stress et est très fatigué maintenant. La situation est quasi héroïque! Je dois franchir entre chaque terrasse des petits murs à 45° en glace très dure, sans assurance puisque j’utilise à chaque fois notre unique broche pour assurer mon compagnon diminué. Enfin, la pente se couche et il ne reste plus qu’à motiver mon compagnon pour les derniers mètres.

Ce jour là, autant pour Bertrand que pour moi, l'arrivée au sommet nous a vraiment parue grandiose, ce panorama, peut être était-ce dû à une lumière particulière; mais en voyant plus tard les photos, je les ai trouvées médiocres par rapport au souvenir que j’en ai. Ce jour là, sur une course à vache lorsqu’elle est en bonne conditions, nous avions vécu une véritable aventure, frôlant les limites des conditions permises par la montagne mais également nos propres limites...

Certes ce fut une prise de risque inconsidérée, résultat d’une inexpérience, mais ce fut très formateur et j’en garde un excellent souvenir.

Le spit piégé

Besoin d’aventure, nous partons dans une voie désaffectée en Chartreuse, avec comme vague indication « voie montagne, nombreux coinceurs, 5+/A1 » et un schéma.

En mise en jambe, je me mets un taquet avec retour au sol probable, la voie doit sûrement être à quelques mètres de ma position, puis je parvient à un spit, seulement, il doit être prévu pour l’artif (8mm) car le mousqueton est trop large, et avec le stress, je le bloque complètement sans être parvenu à le mousquetonner correctement. A bout de nerfs, je redescend de 2m et vais faire relais sur 1 arbre. Et là, je suggère à Rémi (qui avait accepté cette voie uniquement si je faisais les longueurs devant...) de tenter le passage du spit. Il ne parvient pas non plus à décoincer le mousqueton, et le passage indiqué A1 sur le topo se transforme presque en A2…

La longueur du dessus commence très bien, 4+ sur coinceurs, belle rampe avec trous naturels, puis je campe sur un passage, persuadé qu’il faut traverser à gauche, au niveau d’1 spit de 8mm peut rassurant (il date de 1983…) quand enfin je réalise que debout sur une pédale, je peut mettre un gros friend à bout de bras et ainsi atteindre une petite fissure… pour cela, je replante un petit clou, n’ayant décidément pas confiance dans ce spit. Je parviens à un relais sur clous.

Les 2 longueurs suivantes se passent, avec quelques clous en place; puis j’arrive à un relais indiqué « près d’1 puit ». En effet, je décide plutôt que de faire un relais sur 1 friend uniquement, d’aller au fond de ce puit de 3m, interne à la paroi.

La longueur suivante va me donner des frayeurs notables, avec un passage coté 5+, plutôt dalle, en rocher peu rassurant, et mal protégé par un friend qui ne tiendrai qu’en traction vers la gauche, autrement dit, encore pire pour le moral que s’il n’y avait rien… Puis une fissure finale où je remonte mon unique gros friend, avec une sortie à l’arrache dans l’herbe, n’ayant pas trouvé le pas « légèrement à gauche » du topo. Longueur qui sera recotée plus tard à 6b par un habitué du massif...

Une dernière longueur très facile, du rocher pourri et beaucoup d’arbres et de branches… puis on s’échappe, en ayant assez pour la journée. Le dernier ressaut restera un rêve.

Roc de la Valette
Ouverture au Roc de la Valette

Ce matin avec Fred, nous avons allégé au maximum le matériel à emporter. Ce fut ma pire erreur de jeunesse je crois! Le topo indique 3 friends et des coinceurs et pitons plats. Nous prenons 4 friends, des coinceurs très petits uniquement, et 6 pitons. On part aujourd'hui pour une voie complètement oubliée, une TD+ non équipée, on s’en souviendra...

C’est dans la partie terminale que l’on va approcher nos limites : jusque là, l’escalade était engagée, l’itinéraire tortueux, mais à tâtons, on s’en était bien sortis. Voilà que j’attaque un dièdre, le topo « des 100 plus belles » indique plutôt une traversée à gauche, mais je suis attiré par un piton dans un petit dièdre en oblique à droite. Ensuite, une vire herbeuse inclinée me mène au pied d’1 dièdre lisse et très vertical, muni à son pieds d’un piton rouillé qui se sort à la main. En arrivant, je me dit que ce n’est peut être pas là, mais finalement, on le tente, en se disant que cela ressemble bien à la longueur clé annoncée, en 6a+/A1. Le problème majeur, c’est qu’il n’y a aucun équipement et que nous avons seulement 1 friend et 2 coinceurs à la taille de la fissure. Me voilà parti, les 6 premiers mètres sont très fatiguant, puis vient un passage surplombant où je plante une cornière juste assez large, c’est clair, elle ne tient que mon propre poids et encore! Je fixe une pédale et j’attrape une nouvelle fissure bien plus haut, le passage est athlétique. Une fois rétabli, je souffle en position de repos. Et là, une prise de main casse, c’est tellement vertical que le temps que je réalise, je me retrouve pendu à 1m de la vire, avec la cornière et un friend qui pendouillent, heureusement, un friend a tenu bon...

Fred repart peu après, alors que je suis mort moralement, il parvient à passer, il franchit encore un pas très délicat, cette longueur fait seulement 15m/20m, mais elle nous a demandé temps et énergie. Mais un regard au-dessus nous indique que cela ne fait que commencer. Des dalles compactes qui se redressent, il va falloir traverser. J’ai eut le temps de récupérer, je repart, quelques mètres d’artif facile et sympa sur pitons, puis il faut traverser une zone de dalles pour rejoindre le vaste dièdre où nous aurions probablement dû passer. C’est très raide, aussi j’y vais en espérant qu’il y aura des prises malgré tout. Pour ce passage, je serai protégé par un gros friend, qui me semble très aléatoire; son logement offre la bonne largeur sur une zone étroite, et au moindre mouvement, il a tendance à sortir... S’il venait à lâcher, la série de pitons d’artif serait sollicitée et de toute manière le plomb serait énorme… De plus, je sais qu’il y a plus ou moins une vire à 20m en dessous, donc l’ensemble est exposé. Certes le relais est béton. Je m’engage, c’est très raide, au début, je trouve encore des grattons, puis vient un passage de traversée en pure friction. Là, j’hésite longtemps, puis je finis par me lancer, je n’aime pas la dalle, mais aujourd’hui je n’ai pas le choix. Un moment, je ne crois même pas que ce soit possible que je ne tombe pas, je ne sens plus mes prises de pieds, je n’ai aucune prise de main. Littéralement posé sur mes pointes de pieds, le moindre mouvement brusque est à proscrire, je m’efforce de maîtriser mes émotions. Complètement concentré, désespéré par l’idée du majestueux vol en option, je finis par passer… Et par chance je trouve juste derrière un emplacement de relais en pleine zone compacte et verticale : un bon friend, un bon coinceur, et un mauvais piton. Nous sommes rassurés, on voit à quelques mètres un piton dans un toit, ça y est, nous avons rejoint la voie.

Fred trouve le moyen de contourner le toit par un pas mi-artif mi-libre (il n’utilise même pas le piton en place!). Puis, un long silence fait suite, je ne vois plus mon pote, il met longtemps avant de lâcher « relais ». En second, je vais vraiment halluciner. J’arrive au niveau d’1 dulfer de 6m, très lisse et athlétique, à franchir pieds à plat en adhérence sur le calcaire peu adhérent, comme souvent dans les parois près de Pralognan. Fred est passé là avec le dernier point à au moins 3m en dessous du départ de la fissure… (petit calcul s'il avait volé dans le dernier mètre du dièdre : 18m de vol plus l’élasticité...) il n’avait plus de matos, il a dû son salut à un petit becquet béton juste en haut de la dulfer… Le temps des héros...

On parvient à la grande vire qui marque la fin de la voie sous un soleil rasant; il est 20h00. Quel contraste de s’allonger dans l’herbe moelleuse après un tel combat vertical…

Trois longueurs ont été vraiment très difficiles, a priori 2 longueurs n’avaient jamais été parcourues. Avec plus de matos, nous aurions pu passer pas mal plus sereinement. Nous aurions également pu avec plus d’anticipation, rejoindre l’itinéraire à temps... Nous étions partis sans marge au niveau matos, faisant confiance au topo mentionnant un rééquipement en 1986 et indiquant un matériel nécessaire restreint. Nous n’avons vu que quelques spits de 8 aux relais dans les dalles du bas comme rééquipement...

En conclusion, je citerai les commentaires des « 100 plus belles » pour cette course, commentaires qui pourraient faire sourire par leur style, mais qui prennent tous leur sens après notre expérience. J’ai lu ceci 1 an après avoir gravi la voie... « Ici, l’escalade est libre et de grande envergure; noble affrontement où le grimpeur doit être aussi solide que le rocher compact de la montagne; aussi droit, aussi vertical dans sa détermination que la paroi contre laquelle il s’élève, avant de parvenir au sommet sur un plateau de fleurs, brut et délicat contraste après cette rude ascension. Lorsque l’alpiniste a choisi son sommet, il doit marcher à lui sans faiblir, l’esprit préparé comme le corps, lucide et déterminé, ne sachant pas l’issue de son combat, mais armé pour le vaincre loyalement ». Suis un paragraphe sur le sur-pitonnage des courses, leur faisant perdre leur essence; puis « Le Roc de la Valette est un exemple de ces voies belles et difficiles qu’il faut pouvoir aborder avec franchise… Grimper est un plaisir, une harmonie de gestes et de l’esprit, non une lutte désespérée... ». Cette dernière expression décrit bien l’état que l’on a atteint ce jour là ; la sortie sur le plateau fut marquée par un sentiment fantastique de retour à la vie...

Pousse Caillou
Entêtement

Départ avec Nico pour un coin peu fréquenté, l’arête du Pousse Caillou à la Meije Orientale. La marche d'approche s'effectue sur un terrain à chamois, éboulis divers, puis à la fin glacier ouvert et à nu avec quelques franchissements de crevasse ou autres murs un peu sport. Puis pour arriver au bivouac 150m d'escalade en II/III+... Ce bivouac est le plus sauvage que l'on puisse trouver!

Le lendemain matin, à l’attaque de l’arête du "pousse caillou" à la Meije Orientale, le départ, indiqué en III sur le topo Cambon, est quasiment à l’état de cascade. Je ne me pose pas de question, prenant pour acquise la cotation III du topo… En plus, au vu de l’approche très pénible effectuée la veille, je suis motivé à passer de toute façon… Me voilà parti en crampons, et avec le marteau au fond du sac et tout mon matos sur le dos! Grave erreur.

Après 10m assez délicats, je rencontre un piton pas trop mauvais qui marque 1 premier passage qui me demande beaucoup d’énergie. Puis me voilà sur une petite marche à tenter de déchiffrer la suite, à 3m du piton salvateur. Pas 1 fissure, me voilà à ouvrir mon sac dans une situation acrobatique, j’envoie mon duvet voler en bas, enfin je parviens au marteau. Je ne trouve qu’1 emplacement moyen de piton (Nico l’enlèvera en 5s) et je repars, toujours motivé à forcer le passage.

J’arrive dans une position très délicate où ma seule issue est vers le haut, un vrai taquet de chez taquet. Poussé par l’idée de la tenue aléatoire du piton, je finis par enlever le passage, je ne sais trop comment, un piège à câblés salvateur deux mètres plus haut et le tour est joué. Mon second va halluciner!! et se faire hisser... Et voilà, bilan 1h50 pour 30m, un record qui aurait pu se finir mal, avec retour au sol à envisager… Avec le recul, dans un passage qui semble aléatoire, laisser le sac en bas, partir avec tout son matos au baudrier, ne pas faire une confiance aveugle au topo, sont déjà des choses que j’aurais dû faire, mais aussi, dans le feu de l’action, je n’ai même pas envisagé de passer en artif...

Le reste de la voie était sans grosse surprise, et l’on a pu rattraper notre retard. Nous avons fait pour cela de la corde tendue; j’ai utilisé une méthode assez efficace qui s’applique aux cordées de type guide/client. Après chaque passage difficile (en général assez courts), il suffit de surveiller le moment où le second parvient à son tour au niveau du passage, et de faire un relais exactement à ce moment. Puis dès que le second a passé les difficultés, laisser un point et repartir immédiatement en corde tendue… Une recette efficace et sûre :-)

De l’épaule de la Meije Orientale, on découvre le refuge de l'Aigle « au bord de l'abîme ».

La descente de la Meije Orientale nous réserve encore un peu de sport à avec 40m en glace vive à 40° à désescalader… et oui nous étions light avec un brin de 50m!

Les cons qui s’adorent

L’histoire commence un après-midi de Juin. Après un départ tardif de Grenoble, on rejoint le sommet de la falaise de Presles puis on redescend la rampe de Choranche. Il fait chaud, trop chaud. Finalement, il est quinze heures quand on arrive au pied de la voie. Selon Thibault, ça passe ; selon moi, c’est trop court en timing. Il se met soudainement à pleuvoir, un petit orage très localisé et non prévu par la météo après plusieurs jours de beau : c’est le but…

L’année suivante, c’est reparti au mois de Mai. « Les Cons qui s’Adorent » est une voie très belle et soutenue sur coinceurs. Je souhaite avoir une bonne forme avant de m’y engager. Pourtant, quand Thibault me la propose, j’accepte ; bien que très peu affûté. Je pense sur le moment « il doit avoir la forme puisque c’est son idée, au pire je reste en second ».

Cette fois ci, nous optons pour l’accès en rappels. On va faire fort puisque nous allons parvenir à coincer les deux premiers rappels !!! Décidément, cette paroi ne veut pas de nous. C’est Thibault qui se colle à la remontée sur corde. Nous revoilà tout de même à l’attaque à une heure convenable cette fois-ci. Il fait chaud et le stress dans les rappels nous a déjà un peu entamé.

J’attaque la première longueur, du 5c sur coinceurs puis deux bons points rapprochés qui marquent le passage donné en 6c, crochet conseillé. En effet, le 6c est bien tapé. Je passe avec un crochet pas évident à mettre, puis il faut repartir immédiatement en libre exigeant (passage rééquipé depuis). Lorsque Thibault me rejoint, stupeur, il n’a pas la forme et veut faire demi-tour. Ca ne lui ressemble pas et pour moi il est absolument hors de question de prendre un deuxième but dans une voie, surtout par beau temps et plus que tout à Presles ! Non sans discussion, je parviens à convaincre mon partenaire capricieux de me relayer ! Il attaque une longueur donnée en 5+ ; avec un piton sur quarante cinq mètres. On l’a ressenti comme un bon 6a ! La longueur suivante présente les mêmes caractéristiques… et me vaudra des sueurs notoires. Puis vient une longueur qui part en 6a sans donner la conviction d’être dans la bonne fissure avant de proposer une traversée aérienne en 6b. Ensuite deux longueurs sont plus faciles avec tout de même quelques sueurs comme une fissure qui sonne un peu creux. On arrive à une longueur de 6b en dalle, équipée. Il faut tout de même entendre gros 6b obligé les pieds à deux mètres du point précédent, un spit de huit millimètres… Mais le passage est magnifique et laissera un souvenir impérissable. On arrive alors à une longueur annoncée en 6c, le crux étant constitué par un toit de un mètre cinquante d’avancée rayé d’une fissure large ! A ma grande stupeur, Thibault, dont c’est le tour de prendre la tête, s’élance sur ces mots « je vais cocher ». Le gaillard ne tarde pas à déchanter, il finit même par buter sous le toit, qui ne présente pas d’équipement en place, ne voulant pas faire confiance à un coinceur « coincé » à sa base !!! Là je rêve ! Donc je m’y colle, l’artif est pénible car on ne dispose pas de longes réglables. A la sortie du toit, alors que je n’ai plus de coinceurs à la bonne taille et que je ne me sens pas de retirer l’avant dernier, je finis par un mouvement sur crochet ! Puis le petit dièdre qui fait suite me demande encore de m’employer en libre et en artif ! Nous avons manqué d’eau dans la voie, heureusement la face passe à l’ombre en début d’après midi. Nous finissons sur une vire à deux longueurs du sommet, déshydratés et … épuisés. On décide d’un commun accord de tenter une sortie au plus facile. En longeant la vire, on finit par trouver une échappée vers le sommet.