Récits

Montagne et psychologie...

La crampe

21h00, nous voilà déjà couché au refuge du Soreiller -nous avons pris avec ô grande difficulté les 2 couchettes sur lesquelles aucun vêtement n’était posé-.

21h15 dans un demi sommeil, j’ouvre un œil, une bande de « petit vieux » commence à envahir le dortoir. Leurs paroles peu à peu s’organise dans mon cerveau et je distingue un « mais il y a quelqu’un » puis un « elle s’était pas mis là Josette ? » puis un « mais non là haut » bientôt le dortoir est pleins de « petits vieux » joyeux et braillards qui se mettent finalement d’accord pour dire qu’ils préfèrent les couchettes sur lesquelles on dort à celles d’à côté… et qui nous demandent courtoisement de changer de couchette; bonnes pommes, nous nous exécutons. Hélas, la soirée ne fait que commencer, je vous raconte pas ! Quoique, si, cela pourrait vous amuser.

Donc je vous passe en avance rapide les allers/retour toilette, les « je met mon pyjama », les « Yvonne raconte sa vie à Jeannine ». Ça y est, tout le monde il est couché, les volets sont fermés, il fait nuit. On dort. En fait, je vous remets quand même un petit coup de racontage de vie en chuchotement - dans un dortoir on entend tout ce qui se dit -, soupoudré de rires à droite à gauche, le tout pendant 20 minutes. Les « petits vieux », passé un certain âge, si tu les mets en groupe, c’est comme des gosses, c’est l’excitation de la montagne, il faut les comprendre… Ne partez pas vous aller voir la crise ! Ce n’est pas un pamphlet anti-vieux, là je pose encore les préliminaires.

Donc je continue, 21h40 exactement (montre luminescente suisse), un bruit étrange commence à percer parmi les rires et autres chuchotements. Genre brame du cerf en rut ou quelque chose comme ça. Ca se précise, on dirait une respiration haletante, s’intensifiant secondes après secondes. Et là, on perçoit des bribes : « c’est Marcel, il a sa crampe » dit Josette. « Marcel, tu veux te lever ? » demande Yvonne. « Non, ça va aller » répond Marcel entre deux respirations. Après un nombre incalculable de « ça va Marcel ? », « c’est embêtant », « ça fait mal ? », « mais non ça va », « ah, ah, ahhh, ahhh », « ça doit être dur », et croyez moi j’en passe, la crampe passe, la crise aussi, on va enfin pouvoir dormir tranquille.

Mais voilà une nouvelle attaque à l’horizon -une crampe peut en cacher une autre-, et notre ami Marcel repart de plus belle. Josette et Yvonne recommencent leur discours se voulant réconfortant, puis, décident d’un commun accord de passer à l’action -en ayant assez d’être aux premières loges, lassées de leur condition de spectatrices inutiles-. Donc, je disais, elles veulent agir -toute la scène suivante est encombrée de bruits divers, toujours le fameux brame- :

Jeannine « c’est où Marcel, ta crampe ? »

Marcel « sous la cuisse »

Josette « tu la sens ? »

Jeannine « non »

Jeannine « ah, oui, attends, là, c’est tout dur »

Josette « où ça, je la sens pas »

Jeannine « Marcel, ça te fait du bien ? »

Marcel « … »

Josette « ça y est, je la sens, c’est là »

-Rires de Josette et Jeannine-

Jeannine « ça passe pas Marcel ? »

Josette « non, c’est toujours aussi dur, je la sens bien »

Ca s’enchaîne tellement vite, que c’est à ne plus rien n’y comprendre. Finalement, Marcel à dû se détendre, puisque le calme est revenu. Mais une question me hante encore : à quels talents de Josette et Jeannine ce retour au calme est-il dû ? Le mystère reste entier, je vous le rappelle, la scène s’est passée dans la pénombre…

Ce qui est sûr, c’est que même si on a perdu une heure de sommeil (endurant, le Marcel !), on a eut droit a un « two old women show » d’anthologie, entrées gratuites et premières loges…

Démons intérieurs!

Petit récit, pour vous parler d'un compagnon de cordée original! Je ne pourrai citer la course par souci d'anonymat, cela est fort dommage car nous passâmes deux superbes journées en haute montagne. Disons que J. est un personnage agréable. Par contre il semble obéir à la règle : "un caca nerveux par jour". Je ne le connaissais pas beaucoup avant les événements qui vont suivre, disons simplement que s'il y avait eut une chaise au relais, j'aurais pu aisément en dégringoler... Mais je serais prêt à repartir tout de suite avec J. qui une fois redescendu sur terre, redevient ce compagnon jovial, agréable, sûr et efficace. Venons en au fait : j'était tranquillement entrain d'assurer, et j'entends mon camarade jurer, souffler, insulter, à une fréquence de plus en plus haute, qui est aussi celle des oscillations de la corde : J. en chie, il monte et descend sans cesse de 5m. Ce qui est assez difficile à expliquer, c'est le malaise qui m'envahit en entendant les déconvenues de J.: il avait l'air sur une autre planète, se parlant à lui même, parlant à son sac, au rocher, à son matériel qu'il ne trouvait plus, me reprochant affolé de ne pas lui avoir donné tout le matos, alors que tout était bien sur lui : il était "dans sa bulle", j'essayais de lui parler, il ne semblait pas m'entendre mais seulement répondre à ses démons intérieurs.

Un ami m'a déjà fait le reproche similaire : "quand tu t'énerves comme ça, on est super mal à l'aise pour toi, et on ne peut pas t'aider". C'est la situation de taquet physique et psychologique en même temps : on se sens en limite physiquement et on a peur psychologiquement, d'où une sorte de transe. Pour ma part je suis parvenu à maîtriser mes émotions dans ce genre de situations :

D'abord rassurer sa conscience et se baser sur ce que l'on maîtrise, le solide, la protection. Donc tout simplement poser le maximum de protections possibles : une seule d'entres elles ne me suffiraient psychologiquement pour oser le pas, mais je sais par expérience que parfois des protections que l'on estime moyennes tiennes (et vice et versa...). Je n'hésite pas à redescendre de quelques mètres pour mettre une protection "béton" qui me permettra de risquer un pas sur une protection douteuse plus haut, j'aurais ainsi l'esprit libre pour se concentrer sur l'escalade, ayant préalablement estimé la chute modérément dangereuse. Avec l'habitude, on éloignera nos protections lorsque l'on se sent une marge par rapport au niveau technique ou à la qualité du rocher, de la glace. Et au contraire on placera des protections par anticipation avant un passage difficile et peu protégeable.

Dans cette phase, l'observation et l'estimation de ses capacités sont primordiales. Engager sera plus facile, quand on sera sûr d'avoir fait le maximum pour se protéger, on peut prendre du plaisir dans ces situations délicates et exposées, un jeu dangereux, mais ô combien jouissif, ou la sensation de maîtrise de soi vous absorbe des cheveux jusqu’aux orteils…

Donc ce jour là, quand arrive mon tour de faire cette longueur en second, je trouve le sac de J. accroché au coinceur : quand j’arrive au relais, mon compagnon, me voyant ainsi harnaché, retrouve tout de suite ses esprits ! Nouvelle alerte à l’arrivée au bivouac : on se trouve au niveau d’une terrasse qui permettra visiblement après un peu de travail de déblaiement, de passer une nuit confortable à deux. Comme on le fait usuellement, J. va quand même explorer le terrain une vingtaine de mètres plus haut, au cas où il y aurait une terrasse plus confortable. Ceci n’étant pas le cas, il désescalade pour me rejoindre. Et là, subitement, alors qu’il se trouve à 5m au-dessus de moi et qu’il n’a plus qu’un petit mur en III+ à désescalader, J. craque. On vire en quelques secondes dans un monde totalement irrationnel : visiblement fatigué par la journée, J. estime son sac trop lourd et encombrant, et le quitte. Lorsqu’il essaie de le remettre, il n’y parvient pas. En panique, il émet l’idée d’accrocher son sac « en téléphérique » sur la corde et de me le faire parvenir. Etant donné nos positions respectives, quasiment à la verticale, et le côté encombrant et lourd du sac en question (une douzaine de kilos), il me semble évident que mon collègue est bien parti pour m’assommer!! Je me mets aussitôt à l’invectiver et à le prier de remettre ce p. de sac sur son dos et à désescalader au plus vite ce mur ne présentant guère de difficultés! Ce qu’il parvient à faire assez rapidement, comme quoi... Ensuite, J. me reproche d’être « un peu léger comme alpiniste », étant parti sans certitude d’un emplacement de bivouac, et ce seulement sur des indications de seconde main… Je lui rétorque un petit « on n’est pas à Disneyland Chamonix ici mon gars, tout n’est pas prévu pour toi », qui n’a que l’effet de me faire plaisir, étant donné l’état second dans lequel est J., je ne sais pas s’il m’a bien entendu! Puis je m’attelle au déblaiement, ce que finit par faire J. qui ré-atterri doucement sur terre. La fin de soirée au bivouac s’est très bien passée, et ce dans une ambiance joviale je tiens à le préciser!

Il y eut quand même dans la journée d’une lendemain une montée irrationnelle, lors d’un passage exposé et à l’itinéraire pas évident à deviner, mais au final peu difficile : nouvelle rentrée « dans sa bulle » de J. qui semble reprocher à tout le monde (le rocher, la glace, ses protection, son sac, moi, la corde…) le fait qu’il ait un tirage important. La situation se dénouera sur une action mythique de J. : je vois effaré un brin de corde glisser libre comme l’air sur le rocher. Dans sa grande générosité, après m’avoir offert la veille son sac, J. m’offre aujourd’hui un de ses deux brins!!! Merci :-)

Une journée avec Jean Louis

Il fait nuit. Alors que nous sommes entrain de nous équiper au parking, M. est bientôt prêt et sautille déjà sur place. "Bon on y va on va pas passer la journée ici". Je vous ai occulté un petit débat pourtant fort intéressant : il y a à peine 5 min, M. était prêt à abandonner l'objectif car nous n'avions "pas de chaine à dépitonner". MDR. Je lui en ai fait une en 2 min avec un vieux bout de sangle et deux vieux mousquetons... Et là, ultime préparatif avant de partir, je jette un coup d'œil à la carte, pour confirmer mon survol de cette dernière à 5h du mat pendant mon petit dej... Je me suis trompé de parking, à vrai dire je pensais que M. aurait lui aussi jeté un œil mais visiblement non!!! Bon passons, 5 min de voiture, puis la marche d'approche se déroule, enfin si l'on puis dire. Arrivé à un point, M. "pense" qu'on est monté trop haut. Un petit coup d'oeil à la carte semble indiquer que non mais M. n'est pas convaincu... Pourtant, 100m plus haut, l'embranchement est là... Rebelote en vue de la paroi : il semble évident qu'on touche au but, des signes ressemblant étonnamment à ceux du topo. Mais M. a plus d'un tour dans son sac : s'il avait été à la place de l'auteur du topo, M. aurait décrit tel signe caractéristique qui lui semble bien plus évident que la foule d'autres renseignements indiqués... Il n'est donc pas convaincu! Et encore une fois, l'attaque est bien là, 50m plus haut, évidente. Nous attaquons donc l'escalade. Je décrirai principalement les faits survenus au relais, les meilleurs moments.

R1, je me fais passer un savon car j'ai fais une tête d'alouette sur un friend qu'il s'avère plus sûr de récupérer pour la longueur suivante. Et c'est long de défaire une tête d'alouette! On perd donc du temps. Je mettrai quasiment ma main à couper que si j'avais mis un mousqueton sur le friend j'aurais eut droit au couplet "il ne sert à rien ton mousqueton, on n'emporte pas du poids en montagne pour rien".

R2, un nouveau commentaire gracieux voulant dire que mon relais était de la merde, et pourtant mon coco tu t'es allègrement pendu dessus et il n'a pas cillé... puis dans un deuxième temps, je sursaute presque quand M. me demande le topo sur un ton comment dire, "jappé" ou un truc du genre. Vu que j'ai un pantalon sans poches, je sais qu'il n'y a aucune chance pour que je l'ai... Du loup à l'agneau, M. prend sa voix la plus douce dès qu'il s'aperçoit que le topo est tout simplement dans sa poche...

R3, après une longueur entièrement pitonnée où M. nous montre son excellente technique pour mettre 2 heures : il pose un câblé, met une dégaine courte, la clippe brin gauche, atteint un piton à bout de bras, le clippe brin droit, puis vient changer la dégaine courte du câblé par une dégaine longue. Ensuite il monte d'un mètre et des poussières pour atteindre le piton suivant, il le clippe, en profite pour récupérer le dégaine du piton précédent (brin droit), puis tire sur le piton pour progresser encore de 50cm. Et ainsi de suite jusqu'en haut... Deux avantages à cette technique : de une, ça limite le tirage, de deux, c'est extrêmement comique pour l'assureur. Seul inconvénient, faut pas être pressé.

R4, que j'ai mis un certain temps à faire : M. était en effet persuadé qu'il fallait que j'aille à gauche. Après visite de la vire, je reviens proche de l'axe pour faire relais sur un superbe arbre. Je précise que je sors d'une longueur raide et soutenue, sans aucun matos en place, qui m'a demandé temps et implication. M. arrive au relais en second et là, il tire une tête, on croirait qu'il a fait la longueur en tête! Faut dire que l'aspect rébarbatif de la longueur suivante, une cheminée verticale vierge d'équipement, doit aussi y être pour quelque chose! Dès que M. voit l'arbre, son visage s'adoucit, il vient d'avoir une idée, que voici : cela ne correspond pas au topo, en plus il y aurait dû y avoir des pitons en place. Son plan d'action : redescendre en rappel sur l'arbre!!! Là j'hallucine, d'autant que le topo est assez évident : suivre la ligne de fissure/cheminées droit au-dessus... J'avoue quand même ma faiblesse, la longueur suivante ne m'attire pas tellement non plus. Je m'en tire avec facilité : 10min de pseudo argumentation sur l'itinéraire, conclue par l'arme secrète, l'évocation de la fierté, habilement introduite, j'entends!! Et bim, M. est aussitôt parti dans la longueur. Il va mettre un temps non négligeable, agréable moment de détente pour ma part après cette rude argumentation!

R6, si j'ai bien compris le reproche qui m'a été fait : "certes il ne te restait que 5m de corde et tu avais un très fort tirage, mais il me semble que tu aurais quand même pu monter faire relais aux arbres 15m plus haut...".

R7, la suite, puisque il s'agit des arbres précités, M. ayant décidé que les arbres le faisaient chier et allaient engendrer trop de tirage (ce qui fut une excellente décision, sans rire !).

R8, mythique!!! un dialogue d'anthologie : comme cela se fait souvent en paroi, alors que je suis en tête au milieu de la longueur, je demande à mon assureur s'il peut me faire la lecture du topo afin de m'assurer que je suis dans la bonne direction. Réponse : "Tu fais chier, tu n'avais qu'à prendre le topo". Nouvelle requête de ma part: "je t'ai gentiment indiqué à R2 que mon pantalon n'ayant pas de poches, j'en serait bien incapable!". Réponse : "Tu fais chier à avoir des pantalons sans poche". M. ne semble toujours pas décidé à me lire ce verset selon Coupé!! Etant quelqu'un de plutôt réservé, disons que le fait qui va suivre est plutôt rare. Je ne sais plus trop ce que j'ai hurlé, surement un truc du genre "Espèce d'enfoiré c'est vraiment la dernière fois que je grimpe avec toi". Bref l'animal a finit par me faire la lecture. Mais visiblement je n’ai pas hurlé assez fort, étant doté d’une caisse de résonance de capacité relativement modeste.

R10, l'ami M. m'indique après son analyse du terrain la longueur suivante, un traversée merdique suivie de pentes gravillonneuses à 40°. J'émets l'idée de gravir le petit mur juste au-dessus du relais, mais non, M. gère l’affaire, ça se passe sur la gauche...

R11, c'est fini, je suis furieusement heureux de pouvoir défaire ce lien... for ever ! Je viens également de me rendre compte que le petit mur au-dessus de R10 aurait permit d'en finir en 2 minutes, au lieu de cela ce fut 10 minutes à déraper dans des gravillons malcommodes:-)

J'espère que ce récit vous aura fait passer un bon moment, pour ma part ce jour là j'ai trouvé dieu merci les ressources pour tourner en dérision ces moments d'anthologie, et ainsi en apprécier le côté irrationnel!! Mais je dois avouer que c’est épuisant !